LES LOUVES V
L'odeur de l'humus lui remplit la bouche. Et il lui montre brutalement que c'est lui le Maître. Il la frappe, la griffe, la mord. Quand il la saisit à la nuque entre ses crocs, elle pense fugacement qu'elle va mourir, immolée à une divinité cruelle et inconnue. Une myriade de picotements se diffuse dans son corps. Des bouffées de chaleur lui ravage les seins. Quant il enfouit son sexe jusqu'au fond de ses entrailles avec une douloureuse douceur, l'espace tout entier se met à crépiter comme du bois sec dans un embrasement général. Des milliards d'étincelles, de flammèches jaillissent de partout. Des boules de feu bondissent. La forêt sue par tous ses pores et sa sueur retombe en pluie drue et chaude. C'est une folie, la folie de la création du monde, de l'instant du big bang, du premier matin où tout s'est réalisé. La vie fuse, puissante, indestructible, féconde à l'infini. Le Loup fait preuve d'une parfaite maîtrise de lui – même. A le croire presque étranger à ce qui se passe, comme un maître de cérémonie seulement concerné par l'ordonnancement des choses. Attentif aux palpitations de sa vulve, il ne jouira que lorsqu'elle sera prête à jouir de son éjaculation. Il ne la couvre que pour atteindre leurs deux orgasmes simultanés qui les emporteront vers ces contrées primitives de lui seul connues et auxquelles il l'initie.
De longs jets brûlants lui déchirent enfin le ventre et la libèrent. Une gerbe sonore jaillit de son ventre, se déploie jusqu'au ciel, se répand sur la terre. Elle hurle une note d'une incroyable pureté, longtemps tenue et qui ne s'éteint que pour reprendre de plus belle dans une symphonie de soupirs et de gémissements qui forment une masse homogène avant de s'émietter dans son extatique inconscience. Elle jouit, elle jouit pendant que la meute lance un gigantesque hurlement de joie sacrée. Son utérus accouche du soleil, coule de son ventre, inonde tout sur son passage pendant qu'elle s'envole pour se dissoudre dans le ciel et la terre et tout ce qui les habite, légère comme la feuille, lourde comme la pierre. Eau vive, elle saute de rocher en rocher pour se perdre dans la mer dont elle n'est plus que les vagues. Elle est l'air que tout respire.
Revenue à elle, sous le regard du grand carnassier, elle sent sa semence lourde et gluante se disperser en elle, imprégner la moindre de ses cellules. Elle s'abandonne à un sentiment de plénitude. Elle est grosse, au plus profond d'elle – même, d'un orgasme d'une inépuisable fécondité. Tandis que le monde poursuit sa route.
Réveillée dans un sursaut elle a le sentiment obscur du rite sacré accompli. L'opacité de la nuit se déchire. La lumière revient. Elle est dans son lit. A – t – elle rêvé? Elle a pourtant la certitude d'avoir participé, cette nuit, à une cérémonie païenne, barbare, rendant gloire à la vie dans toute sa sauvagerie, rendu un culte au mâle dans la femelle, reçu l'offrande de la vitalité du sperme. Elle est épuisée dans ses draps en bataille, les cuisses trempées. Autour d'elle, dans la ville, la vie reprend son cours. Ce soir elle dormira avec son amant. Elle ne doute pas que lorsqu'elle le sentira éclater en elle, elle pensera à un grand loup blanc rencontré au coin d'une nuit qui flambait sous juillet.
François d'Alayrac – Juillet 2009