LES LOUVES I
LES LOUVES
Le contact frais des draps propres l'a faite frissonner. Rêvassant à la dernière nuit d'amour, elle se sent un peu planante. Et c'est dans cette réminiscence qu'elle glisse dans le sommeil. Pourquoi ces visions hypnagogiques de loups? Le souvenir estompé de son amant sans pitié peut – être? C'est avec un claquement sec qu'elle quitte brusquement son corps, se retrouve projetée dans un tunnel d'un noir absolu. Elle va à une vitesse folle vers une lumière blanche, presque transparente qu'elle traverse pour déboucher dans un ciel mauve. Les étoiles, sans jamais s’entrechoquer, y dansent autour d'elle dans une chorégraphie précise, réglée par un horloger de génie.
Décorporée, échappant à toutes les lois de la gravitation, elle est légère, légère, d'un poids de plume. Les sons, les odeurs, les couleurs qui se mélangent imprègnent sa chair nue, coulent dans son, sang. Ses sens sont d'une acuité prodigieuse. Détendue, sereine, libérée de toute pesanteur, elle n'éprouve pas la moindre angoisse. Son coeur bat régulièrement. Peut être un peu plus fort que d'habitude. A peine un léger vertige, une subtile ivresse qui la rendent euphorique. Elle se dit qu’elle doit rêver en priant de ne pas se réveiller tout de suite. Le vent la porte en lui sifflant agréablement aux oreilles. Elle vole dans un univers étrange et pourtant familier. Une force inconnue la maintient suspendue entre deux airs. Sous elle, une terre éclatante tourne lentement sur elle – même. Elle descend et est posée plus qu'elle ne se pose, délicatement sur un sol souple, chaud et humide comme une peau humaine. Un gigantesque organisme hausse ses phallus géants jusqu'à un ciel d'encre. C'est une forêt très dense, d’un vert si intense, si profond, qu’il est presque noir. Elle vit, elle palpite dans une invitation à la sensualité. Elle semble capable d'intégrer tout ce qui s’en approche. Les arbres distillent un énigmatique chuchotis. Cet être végétal lui tend les bras la convie à la fusion, à l'osmose. Au milieu des herbes aussi hautes qu'elle, elle s'engage dans une allée qui s'ouvre comme un vagin dans un corps de géante. Que fait - elle donc là? La question ne provoque en elle rien de plus que l’inquiétude diffuse devant un inconnu espéré. Et ce n’est pas désagréable. Elle en tire une bien curieuse impression à qui lui chauffe le corps.